La porte s'ouvre lentement mais sûrement et livre passage à
un homme en noir et blanc, noir de peau et blanc de blouse. De la poche
de ladite blouse émane un étrange signal sonore : bip...
bip... bip... L'homme a l'air agacé.
Bon sang, il leur faudrait les résultats avant qu'ils
aient demandé l'examen, c'est pas vrai ça. Tiens
Qu'est-ce
que c'est que ce truc ?
Le truc en question, c'est le tas que forme Frimousse encore étourdi
par le choc. L'homme se penche.
Ça ressemble pas vraiment à un rat, ça...
Le bip résonne à nouveau au fond de sa poche et l'homme
se redresse.
Oui j'arrive, quoi, j'arrive !
Frimousse en profite pour recouvrer ses esprits et se faufiler entre les
jambes de l'homme qui le regarde détaler avec fatalité tout
en se dirigeant vers une voiture garée à proximité.
De toute façon, moi j'ai toujours bien aimé les rats.
Alors file, raton, et bonne visite.
Heureusement que Frimousse n'est pas un rat. Il en aurait perdu sa queue
car la porte se referme sur lui en exerçant une poussée
sur son arrière-train qui le propulse à plusieurs mètres
jusqu'à une nouvelle porte, ouverte celle-ci.
Frimousse n'en croit pas ses yeux. Il est dans une cage pour cobayes géants.
Partout des espaliers, des manivelles, des poignées, des poulies,
des ressorts, des vélos sans roues et des pédales sans guidons,
des tourniquets et des cerceaux, des ballons de toutes tailles. De l'autre
côté des baies vitrées, des branches et des feuilles
s'agitent silencieusement. Le tout baigné par une lune complaisante.
Estomaqué, Frimousse reste sur le seuil, craignant de voir surgir
les monstres qui utilisent des appareils et des jeux de cette taille.
La moindre balle est plus haute que lui, moustaches comprises.
Il a comme un pincement au coeur en pensant à la petite roue de
sa petite cage à lui.
Il tergiverse. Il tenterait bien malgré tout un triple salto arrière
sur une de ces machines. Puisqu'il n'y a personne... Soudain une voix
lui vrille les tympans.
Mais qu'est-ce tu fais là, toi ? Mais... dis-moi, tu ne
serais pas le cobaye de Mimi, toi ?
Les nouvelles ont été vite relayées par la ronde
de nuit. La main d'une infirmière se tend vers Frimousse qui recule.
Allez toi... Viens par là, je te dis. T'as rien à
faire ici. Jamais entendu dire que les cobayes avaient le coeur fragile.
Oh le cochon, il m'a pissé dessus !
Une fois que l'on a goûté les joies de l'escapade à
défaut de celles de l'escalade, on ne renonce pas si facilement
à la liberté. Frimousse décampe après avoir
lâché un jet d'urine odorant sur le beau linoléum
vert de la salle de réadaptation cardiaque.
Il arrive à l'entrée du Pavillon Ansieau au moment même
où l'homme en noir et blanc revient, actionnant le système
d'ouverture de la porte.
Eh ! Salut le rat... La visite a été intéressante
?
Ne le laisse pas filer. Ça fait des heures qu'on le cherche.
Vous avez si faim que ça ?
Idiot ! C'est celui de Mimi.
De Despeaux ?
C'est pour ses gosses.
Elle leur donne que ça à manger ?
Très drôle. Voilà c'est malin, il s'est tiré
maintenant.
Tu veux mon avis ?
Dis toujours...
Lui aussi, il doit avoir faim.
Et alors ?
Ça a du flair, ces bêtes-là. On va le retrouver
aux cuisines.
A cette heure-ci, tout est dans les frigos.
On parie ?
Il est six heures trente du matin. Le jour pointe déjà.
On devine l'ombre de Frimousse qui slalome entre les tulipes et qui se
dirige inéluctablement vers la porte blanche de la Dépense.
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