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Tout ce qui rentre
n'est pas d'or ; tout ce qui sort n'est pas perdu (d'ailleurs, ceux
qui s'en sortent
rentrent chez eux
).
En entrant à Bligny, certaines options sont validées : soit
vous êtes malade, soit vous n'êtes pas malade.
Dans le cas second, vous êtes soit un visiteur, soit vous êtes
venu pour exercer votre profession, soit encore vous êtes perdu.
Cette dernière option est une ironie sémantique. L'hôpital
prenant également en charge les âmes perdues, ce n'est
pas nécessairement une tragédie.
Mais peut-être existe-t-il d'autres manières d'entrer
et d'être à Bligny.
Auteur de garde en est un exemple.
Prenez des auteurs à plume, mettez-les en bande, logez-les, nourrissez-les,
laissez-les vaquer de droite et de gauche, se surprendre des lieux, et
finalement écrire leurs ressentis, au fil des rencontres hasardeuses.
Bien sûr ils sont inexperts, maladroits, quelquefois décalés
même : ils parlent de Bligny avec de la liberté plein la
langue, hors les littératures techniques et réglementaires
en usage à l'hôpital.
Ils sont les intrus, les allogènes, les indésirés
; mais ils sont là, à la place des artistes, au sein démangé
de la grande organisation du quotidien, c'est-à-dire entre
grain de sable et poil à gratter.
Alors, équivoque, inutile, pertinente : quel bilan tirer de la
présence d'écrivains en milieu hospitalier ?
Fallait-il les laisser entrer ?
Peut-on écrire l'hôpital en dehors des us et des coutumes
de la grande syntaxe des corps ?
(...)
Et ils sont partis.
Auteurs de garde là, auteurs de garde plus là
(L'hôpital
n'a pas toussé d'un iota : l'absence des artistes
se considérait moins encore que leur présence.)
Ensuite les remous sont apparus.
Courriers électroniques furieux de quelques concessionnaires en
corps et couloirs, mais aussi force témoignages de sympathie, d'intérêt,
émanant de quidams alléchés par notre petite entreprise
de bavardage.
Alors, les artistes en résidence à Bligny, à prescrire
ou à proscrire ?
Peut-on émettre de l'endroit un autre message que le protocole
épistolaire des professions soignantes ?
Faut-il ne donner de cette place qu'une vision technique et commerciale
?
Les malades, dont on nous a dit qu'il était dégradant
de rendre images et sons, ne s'appartiennent-ils plus, dès
lors que les médecins les ont consignés sur le lit d'une
chambre numérotée ?
Pourquoi tant de crispation à l'endroit d'une liberté
de ton, si elle demeure respectueuse, humoristique ou compassionnelle
vis-à-vis des habitants de Bligny ?
Et quel rôle que celui de l'artiste, sinon restituer une vision
transposée du réel, dans laquelle son média opère
une dilatation des choses appréhendées, afin d'extraire
du quotidien un jus singulier, propre à enrichir notre perception,
notre sensibilité, en atténuant nos certitudes
Faut-il amputer les artistes en résidence de toute a-normalité ?
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