Les dix-neuf sens
Normalement vous ne le voyez qu'à de rares et blessantes occasions. Les dames peut-être plus souvent que les messieurs.
Mais parfois ça dérape et ça se met à danser une folle et turbulente sarabande. Ça cristallise indûment, ça se phagocyte à tire-larigot, ça globule à l'envers, ça prend toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, ça coince, ça viscose en accéléré, ça s'échappe, sans le temps de rien retenir. Ça prolifère ou ça comate, ça métastase un max. Ça colonise, ça prend toutes les libertés, ça numérise n'importe comment. Les rapports de force s'inversent. Têtes à queues dans le plasma, la vraie pagaille. C'est le sang dessus dessous.
On vous le sort alors de dessous la peau, et dessus les petites plaques de verre, dans l'oeil du microscope, on voit d'étranges marais salants, des ciels étoilés fluorescents, des satellites cul par dessus chaise, des îlots et des archipels inconnus. Sur les écrans, l'ADN bafouille et bégaie, les montagnes russes s'enchevêtrent, leucocytes et monocytes se la jouent Foire du Trône, laissant les hématies à la barrière.
Et il ne reste plus qu'à… ne reste plus qu'à… ne reste plus qu'à.
Ma tête. Mon coeur. Mon sexe parfois, aussi. Ma vision du monde. Mon nez écorché par l'allergie. Mes tympans. Ma langue dans ta bouche. Mes mains sur ta peau. Et mon sixième sens. Mes jardins secrets, que j'ai trop bêchés. Ma boussole. Et enfin, ma morale, monsieur le curé.
Ni la queue ni la tête
Les corps ont des postures
Qui empruntent au cercle
Se déplacent
Dans les trois cent soixante degrés
Jaillissent des chambres
Quand explosent les muscles
Ils tentent des figures
Aux regards des ambulances
Dessus et dessous
Ici et plus là
Les infirmières nos abeilles
Les perdent en saignant
De gros rires vitrifiés
Et corps dessus corps dessous
Les diables en campagne
Tirent les draps du lit
Au bout des chambres désertées.