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Les dix-neuf sens |
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Chacun des 19 jours, un sens nouveau décliné en simultané par les différents auteurs. | ||
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Filip Forgeau | Le goût | 12-04-02 | Quoi d'autre ce jour ? | Quoi d'autre de cet auteur ? | ||
Salade de tomates |
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Sabine Mallet | Ma grand-mère et les Jivaros | 12-04-02 | Quoi d'autre ce jour ?| Quoi d'autre de cet auteur ? | ||
Ce matin 12 avril 2002, j'ai rendez-vous à
l'Oasis où règne avec humanité et humilité la
formidable Odile (je vous en parlerai une prochaine fois, pour l'instant
laissons-la partir dans son île avec son amoureux). Et sur le chemin
montant du Pin vers le Petit Fontainebleau, je pense au sens du jour, à
ses déclinaisons possibles. Aujourd'hui, je me dois d'être
une goûteuse, de mettre le palais au goût du jour : acide, sucrée,
salée, amère, quelle saveur l'emportera ? Depuis quelques jours, forcément, c'est le micmac, un mini malstrom, une bousculade de sensations et de perceptions, des irruptions de souvenirs et d'imaginations qui suppléent à mes hésitations légitimes et à mes ignorances face à ce réel qui nous environne. Comme j'essaie d'ordonner un peu tout cela, ruminant et sollicitant mes papilles, des paroles entendues la veille me reviennent sur le bout de la langue. Des mots à propos de la mort, à la fois tellement présente et cachée. Et je pense à ma grand-mère. Décédée il y a plus de 15 ans. Malade et souffrante depuis longtemps, elle est morte pendant la nuit, chez elle. Je logeais à l'époque dans une chambre de bonne, à l'étage supérieur. Je l'ai vue au matin, toilette mortuaire effectuée. Je suis restée un moment dans la chambre, seule avec elle. Je lui ai parlé. Doucement. En m'approchant de son visage Jivaro maintenu par une bandelette, qui seul émergeait des draps tendus sur son corps lui aussi comme étrangement aminci, réduit, poignant. Mes doigts d'abord ont caressé son front, lisse malgré l'âge et les épreuves. Je lui ai demandé si je pouvais l'embrasser une dernière fois. Dis, Mamie, je peux ? Cela faisait plusieurs semaines qu'elle semblait de ne plus savoir qui l'entourait, ses neurones suppliciés par la maladie ne lui accordant plus que de très fugitifs instants de rémission. J'aurais aimé qu'elle me reconnaisse, une dernière fois. Alors je l'ai embrassée, et j'ai goûté à sa peau. J'ai posé ma bouche sur sa joue, sur sa tempe, sur ses lèvres. J'ai léché sa peau. Je crois bien que j'imaginais possible qu'elle se réveille alors, mais je sais aussi qu'il m'est absolument impossible de décrire le goût de ce patin roulé à ma grand-mère morte, un petit matin bordélique de février il y a plus de 15 ans. Si tu dis encore un gros mot, je te lave la bouche au savon ! Parole de grand-mère. Il y a beaucoup de grands-mères ici, avec ou sans enfants. Au fait, vous connaissez la différence entre un bout de savon et une ambulance en panne ? |
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François Chaffin | Poésie du dedans | 12-04-02 | Quoi d'autre ce jour ? | Quoi d'autre de cet auteur ? | ||
Rongé jusqu'à l'os ton corps la compote étalé dans son jus se dissous se popote capillaire dans de beaux draps aux taches vivantes ton corps se mélange sang et puis lait pâté de petits bruits ton corps de viscères t'incorpore en petits bouts à petit feu et bat le mou comme dans du beurre ton corps une douleur dans les farines de sueur ton corps il te mange à gros bouillons dévore le dedans mâche tes dents ton corps une passoire une étuve une fourchette un émincé de ta peau t'aspire comme une chair de crabe te suce et la moelle et l'os encore maintenant c'est ton tour c'est toi le crabe et ton corps te goûte jusqu'à son dernier rot. |
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