Au téléphone,
la voix m'avait dit : "Merci de bien vouloir apporter lors de notre
rendez-vous la photographie de vous-même que vous préférez
(style de coiffure et coupe de cheveux) et que vous aimeriez garder ou
retrouver."
Alors j'y étais allé avec cette photo que j'aimais bien,
où l'on me voyait avec ma fille sur un manège de fête
foraine, les cheveux dans le tourbillon et les flonflons.
En face de moi, et avec son visage cette fois, la voix du téléphone
me vantait les spécialités de la maison : "L'implantation
main ou machine, la construction de la base, en tulle classique ou en
microbase transparente, la qualité des cheveux, soit naturels soit
de synthèse..." Je souriais à ma fille sur la photo
et à la musique du manège. J'entendais vaguement "les
noms de notre gamme" que récitait la voix : "cyclamen,
jasmin, lys, edelweiss, bleuet, primevère".
Que des noms de fleurs. Marrant pour quelqu'un qui se fane, je pensais.
Dans ma tête, je me souvenais du langage des fleurs que j'avais
appris à ma fille. Azalée, amour timide. Bleuet, délicatesse.
Capucine, flamme d'amour. Centaurée, message d'amour. Chèvrefeuille,
liens d'amour. Fuschia, gentillesse. Fusain, souvenir constant. Héliotrope,
éternel amour, amour fou. Jacinthe, grâce et douceur. Jonquille,
désir. Lierre, attachement, amitié solide. Lys, majesté
et pureté. Muguet de mai, bonheur. Oeillet, amour sincère,
caprice. Oeillet de poète, finesse. Oeillet de fleuriste, amour
sincère. Lilas, amour naissant. Pâquerette, affection partagée.
Rose, amour et beauté. Rose blanche et rouge, beauté ardente.
Rose capucine, éclat. Rose sans feuilles, grâce. Rose des
quatre saisons, beauté toujours nouvelle.
Et ma fille riait sur le cheval de bois.
Alors je m'étais levé et j'avais dit à la voix du
téléphone qui me regardait avec des yeux éberlués
:
Merci madame, mais je n'ai pas besoin de perruque. Finalement je
crois que je ne suis pas encore prêt de mourir.
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