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Un coup se lève et puis
tombe.
Un coup se lève et puis retombe.
Encore se lève encore se tombe.
Ainsi de suite, le jour et la nuit, raie blanche alternée de rouge,
angulant le ciel d'une strie mécanique, comme s'acharnant à
souligner l'espace.
Derrière, transparente, ascendante : Bligny.
Sa dénivelée, sa brique, sa meulière, sa tuile et
de bas en haut comme du haut vers le bas, tout un petit peuple dans l'altérité
de vivre, et d'en revenir.
Va-et-vient sans repos de la barrière.
Elle monte larder le bleu : une voiture passe, beige autant que triste.
Elle s'abaisse, remonte à mi-course : une ambulance se fait un
passage forcé, blanche croisée d'azur, disparue dans l'odeur
du diesel.
Un enfant, échappé de la crèche limitrophe, regarde,
l'oeil en merveille. Il la trouve bien fantastique, cette baguette sans
magicien, bougée comme un petit doigt de géant, par la seule
action du vide alentour. Une dame sort de la crèche en brassant
le petit d'une pédagogie de sécurité routière,
mais la magie se répète sans faillir.
J'observe, alignant des hypothèses tour à tour pneumatiques,
hydrauliques, hydropneumatiques, électromécaniques, mécanicothermiques,
et me résous finalement à la magie, dont la simplicité
d'emploi n'étonne que les adultes.
Ce n'est pas compliqué : un type ou une dame ne se sent pas dans
son jus, se véhicule jusqu'à Bligny, face barrière,
d'où une petite voix s'extirpe et demande : "Keski va pas
mon bon ?"
A ce moment, le pilote du volant décrit quelques symptômes
(il peut même se contenter d'avoir l'air triste ou angoissé),
et barrière de se dresser, dans la bonne humeur de son mécanisme.
Et, pas bête ni chienne, se lève en clignotant un petit jaune,
histoire de dire à quel point elle compatit.
Mais alors, que fait le bonhomme dans la petite maison du bout de la barrière
?
Et comment faire pour se soigner à Bligny quand on ne possède
pas d'automobile, et que de la plaine on est à pied venu, péniblement
soutenu par de vagues projets de rémission ?
Du calme, je réponds dans l'ordre à toutes vos questions.
Le bonhomme : il habite là depuis toujours, même c'était
du temps que les bêtes parlaient, et que Bligny n'existait pas.
Il habite là et s'est accommodé peu à peu de ce remue-ménage
automobile, à tel point qu'il n'a pas installé de rideaux
à ses fenêtres, par lesquelles traversent quotidiennement
ses yeux, de jour et de nuit, ce qui, entre nous soit dit, lui épargne
de regarder la télévision.
Pour cette affaire de piétons, c'est un peu plus aléatoire.
Soit ils passent, accrochés aux pare-chocs arrière des voitures
et s'écrasent ensuite devant le bâtiment des urgences, soit
ils arrivent en sifflant, l'air de rien, et finissent par se confondre
avec de simples oiseaux, qui eux n'ont pas l'obligation d'entrer à
Bligny par le relevé de barrière.
Etes-vous satisfait ? Dans le cas contraire, essayez la magie
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