J'entre et d'un bref bonjour salue la cantonade, petit peuple de renards
venus consulter à Bligny, pour des motifs de proximité,
d'opportunité, de confiance, toutes fatalités X, Y ou Z.
J'entre, je m'assieds en terre de goupils, une poule dans un costume
de renard mal dissimulant ma jeunesse et ma santé inox.
Monsieur Daniel, premier rouquin sur la liste, est du tour qui passe,
s'enlève à la salle d'attente et disparaît.
Méfiance, l'étau se resserre, ce sera mon tour bientôt
Il reste un renard environ, qui tente de m'abuser d'une prétendue
relecture d'un mensuel périmé, alors même que je le
devine, ce malin, flairant ma chair de poule et son mouillé, reniflant
à belle truffe mon imposture.
Crainte d'être démasqué dans les délais les
plus prompts, je double mon masque d'un air contrit et défaillant,
dissimulant comme c'est possible la morgue de ma santé belle, celle-là
même qui insulte ces lieux d'attente, portes grandes ouvertes sur
l'atelier mécanique des meurtrissures.
J'attends, j'ai peur d'être reconnu, je pense à mon poulailler,
les renards sont à leur place, la probabilité que je sois
dévoré se joue à trois contre un, les euros s'échangent
autour de moi, un docteur est en larmes, la tension monte comme dans une
cocotte-minute
Pourquoi a-t-il fallu que j'écrive, précisément à
cet instant ?
Pourquoi un carnet et un stylo plutôt que Paris-Match ou le Quotidien
du Médecin ?
Et depuis quand les renards veulent-ils écrire ce qui les détraque
au fond du bois ?
Quelle erreur !
Ils sont accourus de partout les couloirs, en meutes agacées, m'ont
bouffé jusqu'à la dernière plume, et le costume avec,
et la crête, l'aile et la cuisse, m'ont sucé l'os du bonheur
et farci aux choux
Auteur, petite poule dans ce monde de prédateurs, fais attention
à toi !
N'écris pas trop proche du réel, ne l'imite pas, ne te
prends pas pour son égal.
Et reste en dehors de tout ça : ta place est au poulailler
où, des oeufs datés du jour de ta ponte, sortent des poussins
alphabètes, jaunes et rêvés
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