Oh, je les entends déjà, les sceptiques, les cartésiens
pinailleurs, les Saint Thomas du cerveau-science, les spécialistes
du concret, de l'éprouvé, du "si-j'mens-j'vais-au-cancer",
m'arguer bien à ma face toute l'ineptie d'une étendue saline
sur les collines de par ici.
"La mer à Bligny, mais vous n'y pensez pas !"
D'ailleurs je ne pense qu'à ça. Et j'ajoute que je suis
en mesure de prouver ce que j'avance, photos et enquête à
l'appui, témoignages, tout le toutim avéré de mes
yeux vu, n'en déplaise à mes contradicteurs des marées
basses et cales sèches.
Et je prouve sans rire ni baguenauder.
Escalier d'accès à la cafétéria du pavillon
Fontenay, à gauche de la rampe du milieu en faisant face au bâtiment,
quatrième marche. Et là, posé tout incrusté
depuis des éternités de sparadrap ; là, poli par
des millions de semelles bipèdes et rapides à venir en découdre
avec la médecine ; là, eh bien quoi : UN FOSSILE !
Non, pas une carcasse de grenouille ni une larve tétardeuse quelconque
venue se faire piller par toute l'urgence de Bligny ; pas un glyphe d'enfant
du temps que l'escalier n'était encore sec ni dur ; mais un fossile
de poisson bel et bien, daté du temps que la mer habitait Bligny,
et couvrait de ses ondes la région et la colline, le haut des arbres
comme les toits du petit Fontainebleau.
La preuve.
La mer à Bligny, quand on y pense
On y arrivait en barque, chaloupe, prao, esquif ou radeau, pour y venir
mouiller sa plaie, se désamarrer ensuite, guéri et face
au vent.
C'était le temps des capitaines du stéthoscope, des matelots
de la seringue, moussaillons du garrot et barreur des canules, tout un
peuple aquatique se déroutant pour venir s'approvisionner en bonne
fortune, et se panser le scorbut.
C'était le temps que mer et marins charriaient de pires chansons
à boire, portées de chambre en chambre par des rafales d'oxygène.
C'était le temps d'une infirmière dans chaque port, et le
temps qu'elles savaient toutes voler, emportées au levant dans
de blancs et plumeux costumes de mouette.
Il y a longtemps, et les poissons venaient brouter l'herbe des marches
Restent les costumes, l'oxygène, la maladie et le fossile.
Allez donc vérifier vous-même : escalier de Fontenay, quatrième
marche.
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