Les dix-neuf sens
Un cri poussé par une des infirmières.
Et elles sont toutes parties, météorites blanches aux foudroyances de sprinter, absentes déjà quand l'écho ne m'avait pas encore donné le sens de ce que je venais d'entendre.
Dix minutes et elles sont revenues, pareilles à des voiles par petit temps, cabotant dans le clapot tranquille d'une conversation réamorcée, une fois l'alerte consommée.
Alors, fugue ou décès ?
Ici, on ne manque pas d'air.
Ici, un dameur de taupinières peut se transformer en essuyeur de plâtres.
Ici, il y a plusieurs façons de prendre la tangente.
Ici, un homme souffre de diplopie et maintenant il a deux femmes.
Ici, les inventaires ne sont pas tous de Prévert.
Ici, on joue sur les mots mais pas avec la vie.
Ici la vie, la mort et les ramiers s'accouplent.
Ailleurs, après le premier tour des présidentielles, les champs de colza sont toujours aussi jaunes et les roquets aboient toujours aussi fort.
Ailleurs, le patron du Cadran Solaire à Fontenay-lès-Briis est vêtu d'une chemise grise et blanche, à col noir. Un client lui lance, entre deux gorgées de panaché grenadine : "On dirait que t'es en deuil."
Ailleurs, la patronne du même Cadran Solaire a la crève.
Ailleurs, une adolescente explique, gestes à l'appui, la différence entre un vélo de garçon et un vélo de fille : "Pour les garçons, il y a une barre toute droite, mais les filles, ça descend, comme ça. C'est plus facile."
Ailleurs, on lance un "Je serai lapidaire !" avant de se lancer dans un long discours à propos de pavés dans la mare.
Ailleurs une dame se plaint que son homme soit parfois monolithique.
Ailleurs, on utilise des expressions de contrebande pour faire passer la pilule.
Et pendant ce temps-là, quelque part dans les bois de la Roche-Turpin, ça turbine.
Otto est mon double. Prenez-le dans le
sens que vous voudrez. Otto est mon double, parce qu'il est mon reflet.
Otto est mon double parce qu'il me ressemble. Otto est mon double parce
qu'il est ma projection.
Sans moi, Otto n'a aucun sens. Et sans Otto il me manquerait un sens.
Otto est en fait peut-être mon vingtième sens.
Entre Otto et moi, le sens est réciproque. Et peu importe
qu'il soit vingtième.
J'ai créé Otto, c'est moi qui lui donne sens. Mais lorsqu'il
me regarde, Otto prend tout son sens. Entre Otto et moi, c'est la confusion
la plus totale.
Mais finalement, qui de la poule ou de l'oeuf, hein ?
Est-ce la poule qui pond l'oeuf ? Ou l'oeuf, qui remonte dans le cul de
la poule pour re-pondre la poule ? Allez savoir.
Il y a des fois des sens inverses qui ne font pas forcément contresens…
Lorsque je projette Otto dans le miroir au-dessus de mon lavabo, Otto
ne regarde pas dans le même sens que moi (et peu importe les poils
de bite).
La direction de son regard vient contredire la mienne. Ses yeux affronter
les miens. Otto et moi, on se confronte, en quelque sorte. Du matin au
soir et du soir au matin.
Mais c'est dans ce contresens-là que mon double existe et qu'il
a finalement du sens.