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  Sabine Mallet | Les cinq kiosques du parc | 2. L'acacia | 18-04-02
     
 

Un pas. Encore un. Un pas après l'autre.
Les poches remplies de mouchoirs, de regards détournés, de mots sournois, d'espoirs vains, de plaintes et de larmes retenues, et par-dessus, la mauvaise conscience de ceux qui vous ont laissé là. Se frotter le visage aux écorces rudes qui bordent le chemin. Sentir une dernière fois la peau se rebeller. Encore un peu. Regarder le soleil dans les yeux et puis baisser la tête. Paraître vieux, vaincu, abandonné.
Encore quelques pas.
Respirer l'air de ceux qui ont encore à vivre. Ce rêve-là, cette évidence-là. Les feuilles mortes, les crevasses dans la terre, les chardons ardents. Tout est là. La dure vie qui dure et qui attend. Depuis tant et tant d'années. Se souvenir. Mêler les odeurs chlorées d'aujourd'hui à celles d'avant : la poudre de riz sur les joues de Marguerite, les beignets de fleurs d'acacia qu'elle réussissait si bien. Ne pas chercher à savoir qui sera là, au dernier jour. Ne pas espérer. Ne plus penser. Chair usée. Regard voilé. Corps d'enfer peut-être sous le tissu molletonné. Jambes lourdes, mains tordues, lèvres tremblantes, échine ployée.
Un pas et un autre encore.
Se taire. Attendre. Encore un peu.
N'être que ça, un vieil imbécile en robe de chambre, un vieux chien à la couenne pelée, qui cherche un coin tranquille pour s'y terrer et attendre la paix.
Le vieil homme s'est appuyé contre le pilier du kiosque. Il perd l'équilibre, trébuche. Son bras balaie l'espace et s'accroche à l'arbuste le plus proche. C'est un jeune acacia, aux épines déjà vigoureuses.

 
     
  Kiosque 2 © Carol Kennedy  
     
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