Un pas. Encore un. Un pas après
l'autre.
Les poches remplies de mouchoirs, de regards détournés,
de mots sournois, d'espoirs vains, de plaintes et de larmes retenues,
et par-dessus, la mauvaise conscience de ceux qui vous ont laissé
là. Se frotter le visage aux écorces rudes qui bordent le
chemin. Sentir une dernière fois la peau se rebeller. Encore un
peu. Regarder le soleil dans les yeux et puis baisser la tête. Paraître
vieux, vaincu, abandonné.
Encore quelques pas.
Respirer l'air de ceux qui ont encore à vivre. Ce rêve-là,
cette évidence-là. Les feuilles mortes, les crevasses dans
la terre, les chardons ardents. Tout est là. La dure vie qui dure
et qui attend. Depuis tant et tant d'années. Se souvenir. Mêler
les odeurs chlorées d'aujourd'hui à celles d'avant : la
poudre de riz sur les joues de Marguerite, les beignets de fleurs d'acacia
qu'elle réussissait si bien. Ne pas chercher à savoir qui
sera là, au dernier jour. Ne pas espérer. Ne plus penser.
Chair usée. Regard voilé. Corps d'enfer peut-être
sous le tissu molletonné. Jambes lourdes, mains tordues, lèvres
tremblantes, échine ployée.
Un pas et un autre encore.
Se taire. Attendre. Encore un peu.
N'être que ça, un vieil imbécile en robe de chambre,
un vieux chien à la couenne pelée, qui cherche un coin tranquille
pour s'y terrer et attendre la paix.
Le vieil homme s'est appuyé contre le pilier du kiosque. Il perd
l'équilibre, trébuche. Son bras balaie l'espace et s'accroche
à l'arbuste le plus proche. C'est un jeune acacia, aux épines
déjà vigoureuses.
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