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François Chaffin | Lieu #1 : La réa (lité ou nimation) | 11-04-02 | ||
La réa, service aigu comme ils disent, service obligatoire du monsieur ou de la dame en grand danger de révérence, et qu'elle se tire brutalement, aspirée dans un dernier souffle, évacuée dans la spirale d'un crachat. Le territoire de l'apnée, de la suspension, des équilibristes aux pratiques vertigineuses, aux miracles assumés, quotidiens. Beaucoup d'appareils, de tuyaux, de couleurs, de connexions possibles, de données voyageuses, centralisées sur les écrans de la salle de contrôle. Minuit passé en réanimation. Vigilance et compétence, autarcie, disponibilité de l'équipe, son accélération et son ralentissement, ses rassemblements et sa dispersion ; c'est comme un corps en effort, ouvert et se refermant sur soi, une houle experte et agissante. Tout est sous contrôle. Ça te bipe le malaise et la défaillance, ça te sonne au bon moment, ça te raconte que les machines d'hommes sont fragiles, capricieuses, mystérieuses, liquides et solides en même temps. Ça ressemble au paradis, avant que le Dieu le Père et ses ouailles ne nous lâchent en plein océan de vivre, passée la sixième leçon de natation. Maintenant nous sommes seuls ; seuls avec notre tuyauterie mal standardisée, notre connectique emmêlée, nos siphons calaminés, nos homologations douteuses, nos calibres défaillants, nos trous et nos pleins, et de vilains maillots de bain taillés dans le plomb ou le mercure. Mais tout est sous contrôle ; au pire on ne fait que mourir en réa. Tout le reste nous est épargné. Il y en a certains qui n'ont jamais su qu'ils étaient morts. Même, de meilleurs s'en sortent, les plus bagués, les costauds de la providence, les chanceux de la pirouette. Même quelquefois, c'est le contraire d'un toboggan : on y entre couché pour en sortir debout. La réa c'est comme un paradis. Même il y a une mouche qui habite ce service. Elle promène ses binocles énormes et son noir velu de machine en machine, d'une peau l'autre, s'alimente dans les hasards, les tumeurs, les restes. La mouche analyse, expertise, diagnostique. Les gens du service m'ont dit que c'était l'âme du docteur Genghis, qui régna ici en maître, un quart de siècle durant. Mais les gens du service se trompent. C'est lui, le Dieu le Père, qui porte un costume de mouche. Je crois qu'il se sent coupable d'abandon, et qu'il est revenu prodiguer quelques bzzzzzz en forme de conseils. Si on attrapait cette mouche (mais comment attraper Dieu ?), si on la microscopait sans égard, alors on observerait sa barbe blanche et son sifflet de maître nageur, son air louche et sa patte dilettante ; et on en déduirait que j'ai dit vrai, et que l'homme est un bon paquet de vie mi-solide et moitié liquide, entremêlé dans les tuyaux, les connexions, les couleurs, les hasards. Nonobstant la mouche, on se dirait que l'homme peut s'en sortir seul, sans bouée ni épuisette, sans maillot de bain, juste sous le contrôle de l'équipe de la réa. |
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